Questions/Réponses en date du 3 janvier 2024
Pourquoi vacciner uniquement le canard ?
Jocelyn MARGUERIE : Clairement, les espèces qui posent problème en matière de risque de diffusion au niveau Européen vis-à-vis de l’Influenza sont les canards et les dindes. Au niveau Français, c’est l’espèce canards qui a été priorisée suite à avis de l’ANSES.
Quelles connaissances à date sur l’efficacité de la vaccination ?
Jean-Luc GUERIN : Le choix de la stratégie vaccinale et le lancement de la campagne de vaccination au 1er octobre ont été faits sur la base de premiers travaux expérimentaux menés en 2022-2023 avec des éleveurs volontaires. Ces travaux ont permis de tester en condition terrain les 2 solutions vaccinales CEVA et BORINGHER en observant la mise en place de l’immunité d’abord (taux d’anticorps) puis en évaluant, grâce à des infections expérimentales dans les installations de l’ANSES, le niveau de protection permise par cette immunité (protection clinique des animaux vaccinés et baisse d’excrétion du virus pour réduire le risque de diffusion). Ces travaux ont montré qu’avec les 2 vaccins, on obtient des niveaux de protection très élevés à 7 semaines, mais plus compliqués à analyser à 11 semaines.
Toutefois, les niveaux d’anticorps laissaient à penser qu’il y avait une protection résiduelle à 11 semaines. Ce n’est que plus récemment, grâce à des expérimentations complémentaires de tests de diffusion, que nous avons pu constater que cette protection résiduelle risquait d’être insuffisante en cas d’exposition élevée à du virus (dans les zones où il y a le plus de risque de diffusion).
Il a donc été collectivement assumé de lancer la vaccination avec les premiers éléments à disposition, et de poursuivre les observations scientifiques pour ajuster au fur et à mesure des connaissances les protocoles de vaccination. S’il avait fallu attendre d’avoir tous les éléments, il n’aurait pas été possible de démarrer avant 2025.
Par ailleurs, il faut comprendre que vacciner un canard est plus compliqué que de vacciner un poulet. Comme pour la dinde, la réponse est plus complexe à mettre en œuvre, surtout sur des vies économiques plus longues. La question de la durée de l’immunité est donc compliquée pour ces 2 espèces. C’est pourquoi les recherches vont se poursuivre sur les prochaines semaines, sur les lots en place et en conditions expérimentales, pour continuer à acquérir des données, dans le but d’essayer autant que possible d’optimiser le protocole à 2 doses, en se passant d’une V3, en tous cas en élevage.
François LANDAIS : Pour compléter, il faut aussi distinguer l’efficacité du vaccin de la qualité de l’application du vaccin qui peut influencer pour beaucoup la réponse des animaux au vaccin. Nous savons que la qualité de la vaccination en condition terrain ne pourra jamais être aussi bonne qu’elle l’a été à l’INRAE lors des expérimentations et l’avons bien sûr collectivement assumé pour le démarrage de la vaccination à grande échelle. Ce n’est qu’avec les premiers chantiers, en conditions réelles d’élevage, que nous pouvons ajouter aux observations scientifiques les effets des autres paramètres
(biologiques, humains…) qui complexifient encore l’analyse. C’est donc un travail de fond qui s’est engagé depuis 3 mois et qui devra se poursuivre.
Vincent BLONDEL : Ne pas oublier que nous sommes, en France, pionniers sur cette vaccination. Nous écrivons l’histoire et ne pouvons pas nous appuyer sur ce qui a déjà été fait ailleurs. D’ailleurs, l’ensemble des pays Européens, mais aussi du monde, nous observent de très très près pour cette raison.
Pourquoi ne pas avoir annoncé la 3ème dose dès le départ ?
Jean-Luc GUERIN : elle n’était pas prévue par les laboratoires dans les RCP (Résumés des Caractéristiques Produit) des vaccins, donc un tel décrochage de la protection lors des premières analyses terrain n’était pas attendu, y compris par les fabricants. Lorsque l’on regarde les plans de vaccination équivalents, ce type d’ajustements suite aux observations de terrain sont relativement classiques.
Sur quelle base scientifique la 3ème dose a-t-elle été décidée ? A-t-elle été testée ?
Jean-Luc GUERIN : Elle a effectivement été testée sur les nouveaux essais de 2023, avec les 2 solutions vaccinales, au cas où les résultats du test de transmission à 11 semaines confirmaient une baisse de la protection. Seules des mesures sérologiques ont été réalisées (pas de test d’infection expérimentale),
mais celles-ci ont permis de confirmer que la 3ème dose permet de sécuriser des titres en anticorps élevés et stables au moins jusqu’à 14 semaines.
N’est-il pas risqué de mettre en gavage des PAE avec simplement 2 doses de vaccin dans des zones identifiées à risque où 3 doses sont obligatoires ?
Jean-Luc GUERIN et François LANDAIS : C’est effectivement un risque d’un point de vue purement épidémiologique mais il faut assumer que l’on ne puisse pas tout contrôler, pour des raisons pratiques et si cela reste limité en nombre de lots, cela ne changera pas réellement la situation. D’autre part, il faut rappeler que la V3 est recommandée dans toute la ZRD, elle n’est obligatoire que dans les communes du plan Adour et du plan Vendée Militaire pour des raisons de priorisation des moyens
humains et de prise en compte de la difficulté technique de réaliser cette opération sur des animaux de 8 semaines.
Pourquoi appliquer une 3ème dose dans les élevages autarciques où les canards ne sortent pas de la zone professionnelle pour la mise en gavage ?
François LANDAIS et Jean-Luc GUERIN : Ce sont des animaux qui sont dans des zones à risque de diffusion donc, indépendamment de la notion de mouvement, ils sont sensibles et particulièrement exposés en cas de risque de diffusion, donc épidémiologiquement, ils ont vocation à être protégés au maximum. De plus, très souvent ces animaux sont malheureusement aussi les animaux avec les durées
de vie les plus longues (label rouge, circuit court), or la V3 a vocation à prolonger la durée de protection qui s’infléchit à partir de 10 semaines. La notion de mouvement ne vaut que pour des diffusions à distance, or le risque dans ces zones est la diffusion de proche en proche si le virus circule dans la zone.
Les canards de barbarie sont aussi gavés donc si gavage et abattage après 11 semaines, la 3ème dose est-elle obligatoire ?
Jocelyn MARGUERIE : Dans l’esprit de la DGAL, il s’agissait surtout de distinguer la filière chair de la filière gras (avec phase de gavage), mais pas toujours simple d’expliciter les choses dans une instruction technique. Néanmoins, celle-ci prévoit bien de pouvoir vacciner V3 tous les canards, même en dehors des zones ciblées, sur simple demande à la DDPP du département.
La 3ème dose rajoute des contraintes et une charge de travail déjà très importante pour les éleveurs et pour les vaccinateurs. Peut-on avoir une projection sur le pas de temps nécessaire au travail sur l’optimisation des protocoles vaccinaux à 2 doses ?
Jean-Luc GUERIN et François LANDAIS : comme expliqué plus haut, de très nombreuses investigations ont été lancées pour optimiser les protocoles vaccinaux afin de ne pas dépasser 2 doses en élevage (sécurisation de l’application du vaccin, décalage des V1 et V2,…). La problématique de la pénibilité de l’opération a très bien été remontée en Comité de Pilotage National et la DGAL en a parfaitement conscience. D’ailleurs, la 3ème dose n’est pour l’heure imposée que jusqu’au 15 mars.
A noter qu’un important travail expérimental est également en cours pour sécuriser la vaccination au couvoir, un des enjeux étant de s’assurer que les anticorps maternels transmis aux canetons d’1 jour n’interfèrent pas avec le vaccin. Ce travail doit contribuer à faire évoluer les ATU (Autorisation Temporaire d’Utilisation) des vaccins et contribue totalement à l’optimisation des protocole vaccinaux.
L’autre enjeu consiste à lever les contraintes techniques de mise en œuvre de la vaccination au couvoir qui font qu’aujourd’hui que ces derniers ne sont pas prêts à appliquer le vaccin à grande échelle.
Pour les éleveurs autarciques en obligation de 3ème dose, ne serait-il pas plus judicieux de décaler la V1 et la V2 de quelques jours et prioriser les équipes de vaccinations pour les V3 en élevages spécialisés ?
Jean-Luc GUERIN : C’est effectivement une des principales pistes d’amélioration envisagées, pas seulement pour les producteurs autarciques, mais il faut d’abord s’assurer qu’elle est efficace et surtout suffisante. En outre, il convient d’abord de rappeler que les vaccins sont utilisés dans le cadre très réglementé d’ATU (Autorisation Temporaire d’Utilisation) ou d’AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) délivrées par l’Agence Nationale du Médicament Vétérinaire, sur la base de protocoles
vaccinaux prévus par les laboratoires fabricants dans les RCP (Résumé de Caractéristiques Produit) de leur vaccin. Ainsi, le délai entre les 2 doses de primovaccination (V1 et V2) est défini par les fabricants eux-mêmes et toute évolution de ce délai doit faire l’objet d’une modification de l’ATU, justifiée par des données scientifiques. C’est pourquoi les 2 laboratoires sont pleinement impliqués dans le travail en cours qui vise à optimiser tout ce qu’il est possible d’optimiser, y compris des V1 et V2 décalées dans le temps, encore faut-il s’assurer que ces vaccinations sont faites très correctement.
Circonstances et hypothèses sur l’origine du cas vendéen en Barbarie qui pourtant avait reçu 2 doses ? En résumé où se trouvent les trous dans la raquette ?
Jean-Luc GUERIN et Jocelyn MARGUERIE : L’élevage avait reçu ses 2 doses mais est situé proche d’une ZRP donc dans une zone à risque fort d’introduction. Or, nous savons très bien et devons l’assumer, que le vaccin ne protège pas complètement du risque d’infection. L’enjeu essentiel est de bloquer la diffusion et c’est ce qui va être observé de très près sur les jours qui viennent. Sur ce cas précis, il va faire l’objet d’enquêtes spécifiques et est l’occasion de rappeler l’importance des comptes-rendus de vaccination et des certificats de vaccination car ils permettent notamment de mettre en évidence d’éventuelles non-conformités qui peuvent expliquer (ou non) des risques de mauvaise prise vaccinale ou de contamination et doivent donc permettre petit à petit en les corrigeant d’améliorer l’efficacité globale de la vaccination.
Pourquoi avoir mis à l’abri si tôt et pourquoi d’ailleurs continuer à mettre à l’abri les canards, alors qu’ils sont vaccinés ? La mise à l’abri implique une charge de travail très importante et impacte le bien être des animaux, surtout avec la difficulté à tenir des litières propres. Pour aller encore plus loin, pourquoi ne pas tout miser sur la vaccination ?
Jean-Luc GUERIN : Nous sommes aujourd’hui dans une évolution de la stratégie de lutte avec l’apport de la vaccination. C’est extrêmement récent et l’objectif est bien que l’apport de la vaccination, à terme, permette d’alléger un certain nombre de mesures et en particulier la mise à l’abri. Mais aujourd’hui, alors que le plan de vaccination est encore incomplet, avec les incertitudes évoquées précédemment, et une situation Européenne aussi dégradée (pression virale très forte partout en Europe), il est indispensable d’apporter le maximum de sécurité, même si on sait que le bénéfice
apporté par la mise à l’abri est lui aussi imparfait.
François LANDAIS : Il faut à nouveau rappeler que le but de la vaccination est d’empêcher, si un lot est contaminé, une vague épizootique incontrôlable et non pas d’empêcher l’introduction virale sur un élevage, même si elle doit pouvoir la limiter. Et aujourd’hui, bien qu’imparfaites, la seule mesure qui peut limiter l’introduction d’un virus sur un élevage est la biosécurité dans toutes ses composantes, y compris la mise à l’abri. Aussi, prendre le risque d’avoir des animaux, certes vaccinés mais avec une
protection encore mal connue, tout en les laissant dehors c’est-à-dire susceptibles d’être massivement exposés à du virus, ce serait prendre le risque d’une nouvelle catastrophe que personne ne souhaite, surtout avec la vaccination.
Vincent BLONDEL : Beaucoup d’audits sont réalisés sur le terrain par les vétérinaires dans le cadre de la vaccination et on constate un relâchement global de la biosécurité qui est compréhensible, en lien avec un découragement général du fait des crises et de l’effort considérable de tous sur la vaccination.
Malheureusement ce qui inquiète c’est que l’on constate en parallèle d’autres pathologies qui commencent à apparaître, notamment la pasteurelle et donc, si d’autres maladies passent il y a un risque que l’IA passe aussi. Il est donc indispensable de toujours se remettre en question sur la biosécurité, malgré le vaccin et notamment lorsque des équipes interviennent, même si elles sont professionnelles, les éleveurs restant maîtres d’imposer les mesures qu’ils estiment nécessaires chez eux.
Les reproducteurs vaccinés transmettent-ils des anticorps ? La vaccination a-t-elle un impact sur la qualité des œufs qui arrivent au couvoir ?
François LANDAIS et Jocelyn MARGUERIE : les reproducteurs vaccinés transmettent effectivement des anticorps qui vont perdurer pendant une dizaine-quinzaine de jours. Ce que l’on ne sait pas encore c’est s’il y a une forme d’incompatibilité entre ces anticorps et le vaccin si celui-ci est administré au couvoir (cf. question 8).
Les premiers constats sur les premiers lots de reproducteurs vaccinés, dont certains étaient déjà en cours de ponte, mettent en évidence une chute sensible des courbes de ponte mais il n’y a pas d’impact sur la qualité des œufs à couver, ni des canetons issus de ces lots.
On parle de baisse de performance de canards mulards vaccinés en gavage (tout comme la baisse de ponte en repro), y a-t-il ce constat ?
Vincent BLONDEL : pas de différence constatée pour le gavage à ce jour. En revanche, on peut observer un effet en élevage quand les trappes sont ouvertes et que les animaux ont froid. Le confort des animaux vaccinés est une vraie nécessité.
BOHRINGER et CEVA ont-ils fait évoluer leur ATU pour étendre les plages de température, conditions d’utilisation, etc… ?
Jean-Luc GUERIN : Pour Volvac Best il n’y a pas de grande évolution à attendre car les conditions d’utilisation et de stockage sont assez classiques. Pour la solution CEVA : le laboratoire travaille sur une évolution des contraintes de mise au froid – il devrait pouvoir être conservé à + 4 degrés – et est aussi attendue une évolution du protocole d’administration pour faciliter le travail de l’éleveur.
Rappel des températures de conservation et d’injection du vaccin ?
François LANDAIS : le VOLVAC se conserve au frigo et doit être remis à température ambiante (25°C à cœur) très progressivement (surtout pas le mettre dans l’eau bouillante) sans dépasser 30°C pour l’administrer. A l’inverse, si trop froid : risques importants de mortalité. Dans les 2 cas, l’efficacité sera fortement dégradée.
Quelle est la situation actuelle dans les autres pays Européens qui eux ne vaccinent pas ?
Jean-Luc GUERIN et François LANDAIS : Situation très tendue, comparable avec les années précédentes, avec plusieurs foyers en Europe du nord + Hongrie, Bulgarie, Pays BAS… Les notifications se poursuivent (voir carte ci-dessous).
Toutefois la comparaison avec la France est difficile car nous sommes le seul pays avec autant de canards. Nous travaillons davantage sur le risque de diffusion que d’introduction. Les années passées ont montré qu’il y avait un décalage dans le temps entre nous et les autres pays Européens. Aussi nous pouvons nous réjouir d’avoir passé Noël et le jour de l’an mais les semaines à venir seront décisives.
Est ce que les résultats transmis par la Hongrie sur les oies peuvent être considérés comme fiables ?
Jean-Luc GUERIN : Les données de la HONGRIE sur les oies sont très parcellaires, elles n’ont pas été obtenues dans le cadre d’essais contrôlés et ne sont en rien comparables avec ce qui a été fait en France sur le canard, en Italie sur la dinde ou aux Pays Bas sur le poulet. En revanche des choses sont en cours, mais plutôt portées par les laboratoires pharmaceutiques, et le point bloquant aujourd’hui est que les oies ne sont pas prévues dans les dossiers d’autorisation. Pour travailler cette espèce, il faudrait donc travailler en dérogation par rapport aux ATU.
La V3 est prévue jusqu’au 15/03. S’agit-il du lot mise en place avant le 15 mars ou jusqu’à la date du 15 Mars ?
Réponse en attente de la DGAL.
Quelle évolution prévisible de ce virus et quelles capacités d’adaptation du vaccin ?
Jean-Luc GUERIN : si on reste sur ce clade 2.3.4.4b, avec ses variants, on ne devrait pas avoir à faire évoluer le vaccin. On ne devrait se poser cette question que si on avait un virus complètement nouveau (ex : 2015). Mais nous ne sommes pas, au niveau mondial, dans cette situation aujourd’hui.
Le vaccin ne protègera pas contre l’apparition d’un virus HP issu des souches FP actuelles (clade différent) ?
Jean-Luc GUERIN : Effectivement, ce vaccin n’a pas vocation à être efficace sur les FP, et donc pas non plus sur un virus HP issu de ces FP.
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